Avec son look qui pourrait faire d’elle un sosie officiel de la stand-uppeuse Shirley Souagnon, Aurélie Brute prend son rôle au sérieux. À 24 ans, la chargée de mission restauration écologique à l’ONF pilote le Plan de relance tortues marines à Marie-Galante jusqu’à fin 2023. Sa mission : faire en sorte que la nurserie de tortues que représente l’île reste un lieu de ponte privilégié. D’autant plus que Marie-Galante accueille des tortues imbriquées menacées d’extinction dans le monde. Plus particulièrement, la zone de Trois-Ilets/ Folle-Anse, une langue de sable de 4kms qui commence après l’usine de Grand-Anse et se termine à l’embouchure de la Rivière des Sources à l’entrée de Saint-Louis. C’est déjà l’un des plus importants hot spots de toute la Caraïbe. C’est donc tout naturellement qu’elle nous a donné rendez-vous non loin du lieu-dit Rivière de Trois-Ilets, « car c’est l’endroit où il y a le plus d’effets visibles de ce qui se joue sur le même espace : le tassement du sable provoqué par les véhicules, les espèces exotiques envahissantes, les places à feu non respectées sont autant de menaces de ce site de ponte exceptionnel », décrit-elle avec conviction.
En arrivant sur site, le sable est ridé, imprimé de traces de pneus et les blocs posés afin d‘empêcher le passage des véhicules à moteur ont été mis sur le côté.
« Mon rôle sera de remettre en place ces blocs afin d’empêcher l’accès aux véhicules et d’expliquer le rôle de ces aménagements à la population ». Alors que nous parlons, un scooter chevauché par deux touristes évolue tranquillement sur le sable déjà tassé et scarifié de traces de caoutchouc, avant de trouver une place sur un sol jadis molletonné et aujourd’hui dur comme du béton. Aurélie n’hésite pas à rappeler les deux jeunes femmes prises en flagrant délit à l’ordre et de leur demander de se garer à l’extérieur du site.
« Oh oui, on est pour les tortues mais on pensait rendre service en se mettant là pour moins gêner les voitures », commente avec entrain l’une des scootéristes.
Aurélie explique :
« Parfois, les gens n’ont pas conscience de ce qu’ils font mais là où les voitures et les scooters sont passés, il y a un tassement du sable et cela empêche aux tortues marines de creuser pour pondre des œufs et comme vous pouvez le voir, plus rien ne repousse là où les véhicules sont passés».
50 % des pontes de tortues marines recensées en Guadeloupe sont situées à Marie-Galante
Toute l’île est un hot spot de pontes. La saison de ponte des tortues marines sur l’archipel commence début mars pour s’étendre parfois jusqu’en novembre mais le gros de la période est de mai à août. Sur des sites importants comme Marie-Galante, la tortue imbriquée peut même pondre toute l’année. Selon des données d’une publication de Kamel et Delcroix (2009) reprises dans le Plan National d’Actions en faveur des tortues marines des Antilles Françaises 2020-2029, « les sites de Trois-Ilets et Folle-Anse localisés sur l’ile de Marie-Galante abritent l’une des plus larges populations de tortues imbriquées de la Caraïbe (de 200 femelles), avec un succès à l’émergence élevé (environ à 80%). (…) Les observations de ponte sont observées toute l’année (Delcroix, com. pers.) ». Sur ce littoral précis, ce sont essentiellement des tortues imbriquées qui viennent pondre, étant l’espèce de tortues marines la plus fidèle. C’est une importance primordiale à l’échelle caribéenne ainsi qu’à l’échelle mondiale.
EN IMAGES
Derrière la carte postale, Trois-Ilets entre sansevierias invasives et places à feu menaçant les œufs
Les sansevierias : une herse cloutée pour les tortues
Ces plantes succulentes non endémiques sont des espèces invasives. Les sansevierias, également appelées langues de belle-mère ou couteau, se développent sous forme de rhizomes. Par conséquent, la multiplication végétative induit la prolifération dans l’espace aussi bien en aérien qu’en souterrain car les racines empêchent aux tortues, surtout les imbriquées qui pondent sous couvert végétal contrairement aux autres espèces, de creuser pour pondre. On en voit de plus en plus. Développement rapide, croissance non impactée par la sécheresse, résilientes, elles ont tout pour s’installer partout.
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Ici, plus de 100 m2 perdus sont colonisés par les sansevierias.
Les places à feu sauvages perturbent le développement des tortillons
Un barbecue sauvage sous l’arbre avec des traces de flammes sur le tronc et là, une tôle à même le sable opérant comme un grill posé peut-être non loin d’un nid de ponte, les places à feu doivent être encadrées. Des barbecues vont être installés en concertation avec les collectivités.
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Les palmes de cocotiers, une couverture qui favorise les sansevierias
Les palmes qui tombent sur le sol sont autant de pertes de surface de sable. Cela crée une perte de couvert végétal qui va réduire la possibilité de repousse de la végétation : catalpa par exemple. De ce fait, la sansevieria va se développer encore plus vite sur un sol nu. Les deux ensemble sont donc un cocktail explosif ! Aucune tortue ne pourra pondre dans un tel espace.
Les ancrages sauvages
Les bateaux qui s’ancrent directement sur les herbiers qui sont une source d’alimentation primordiale pour les tortues marines sont une menace. Malheureusement, il n’y a pas encore de points d’ancrage pour ces bateaux installés à cet endroit.
Le décor est posé.
L’INTERVIEW QUI ÊTES-VOUS ? QUE FAITES-VOUS?
Foufougong : Bonjour Aurélie Brute, bienvenue à Marie-Galante, quel est votre parcours et comment êtes-vous entrée à l’ONF ?
Aurélie Brute : Je suis en poste depuis le mois d’octobre dernier à Marie-Galante, J’ai 24 ans, je suis diplômée d’un Master en écologie tropicale, obtenu à l’Université de Fouillole, spécialisée dans les écosystèmes tropicaux. Je suis en contrat de Volontaire service civique (VSC) qui est un outil qui aide les jeunes diplômés à intégrer le monde du travail de manière concrète. J’ai toujours aimé la préservation des espaces marins, des littoraux, des herbiers, les espaces de mangroves, j’aime la nature, j’aime la mer, j’aime tout ce que ça m’inspire et on est aujourd’hui malheureusement soumis à des changements climatiques, à des évolutions négatives sur les espaces marins par exemple et ça m’a donné une volonté d’agir dans ces missions. Et l’ONF (Office national des Forêts) est un des principaux acteurs environnementaux en Guadeloupe et à Marie-Galante, cette expérience semble être une bonne opportunité.
F. : Et de surcroît, vous êtes d’origine marie-galantaise.
A.B : En effet, mon père est né ici. Je suis née en Guadeloupe et j’ai de la famille à Marie-Galante. Il y a un enjeu et une volonté de bien faire et de faire encore mieux sur ce territoire. En plus des missions auxquelles je dois m’attacher, il y a un impact personnel, pas forcément de l’orgueil ou de l’égo, mais une volonté de faire pour une île qui m’a accueillie pour quelques semaines chaque année durant mes vacances.
Foufougong : Quand c’est la saison de pontes (mai-juin-juillet-août), les tortues imbriquées, tortues vertes et dans une moindre mesure les fameuses Tortues Luths prennent leurs tickets pour venir pondre à Marie-Galante. Comment cela se fait-il ?
A.B : L’espace est plutôt conservé ici à Marie-Galante contrairement à d’autres îles qui ont installé des aménagements qui ont pu les déranger et les inciter à déserter ces sites. Ici, on fait attention aux pollutions lumineuses qui pourraient les désorienter. Les deux plages les plus fréquentées par les tortues se trouvent en forêt domaniale du littoral gérée par l’ONF. Etant donné que les tortues sont gênées ailleurs par des nuisances diverses, elles affectionnent ce type d’espaces protégés. Par conséquent, les tortues sont fidèles à leur site de ponte. Ce qui n’empêche que nous sommes soumis aux mêmes enjeux que les autres îles mais dans une moindre mesure même s’il faut encore diminuer les nuisances tout en conciliant avec l’accueil du public. Il s’agit de tortues Imbriquées et vertes en priorité. Des cas d’observations de tortues Luth à Anse de Mays en 2021 mais le suivi des activités de pontes n’est pas suffisamment référencé pour qu’on établisse une activité aussi importante que pour les deux autres.
F : Y a t-il encore des cas de braconnage sur les tortues ?
Aurélie Brute : Depuis 1991, un décret a été porté sur les tortues marines faisant d’elles une espèce protégée donc toute intervention à savoir la consommation des individus adultes, des œufs présents dans les nids, est interdite et proscrite. Ça a pris du temps à rentrer dans les mœurs mais la jeunesse prend conscience. Il y a encore des cas ponctuels. Il y a encore des cas de prédation de manière ponctuelle. On le sait par rapport à l’observation des traces de pneus, de roues, pas très loin de traces de tortues, on arrive à déduire les cas de braconnage.
Foufougong : Avez-vous un pouvoir de police ?
Aurélie Brute : « Non je ne suis pas assermentée pour faire des procès verbaux par contre il y a un autre agent un TFT, technicien forestier territorial, Patrick Sobéra qui est présent sur Marie-Galante et qui fait des missions de police et de surveillance des littoraux et ce aussi sur les espaces du conservatoire du littoral qui n’a pas de garde sur place à Marie-Galante ».
Foufougong : Que représente précisément le plan de relance pour les tortues ?
Aurélie Brute : ce plan représente 155 000 euros d’investissements pour les tortues à Marie-Galante et seulement à Marie-Galante sur les plages de Folle-Anse et de Trois-Ilets et potentiellement un troisième site de pontes dégradé. Folle-Anse, Anse de Mays, Anse Moustique, la plage de la Feuillère, les Galets, tous ces sites sont des lieux de ponte mais il n’y pas forcément de suivi des tortues marines sur tous ces sites. En fait, pour grossir le trait, dès qu’il y a une plage, il y a potentiellement des tortues.
F. : Que va t-il se passer pour l’aménagement, le mobilier d’accueil et d’information du public ?
A.B : « Nous nous rattachons vraiment aux enjeux des tortues marines et de l’accueil du public. Par exemple, à Folle-Anse, où nous avons des carbets qui sont posés sur des dalles en béton. Notre volonté aujourd’hui est de retirer ces dalles pour les laisser directement sur le sable pour diminuer l’espace que l’on prend sur l’espace de ponte des tortues marines. Les tables en bois dégradées peuvent faire l’objet d’une intervention mais la priorité est mise sur les tortues et l’information. Par exemple ici à Trois-Ilets, le panneau va être remplacé. La carte de Marie-Galante est assez approximative. Le but est de remettre à jour un nouveau panneau, avec un design plus accrocheur et une intégration paysagère plus présente. La mise à jour des panneaux va montrer que nous sommes encore présents et que nous agissons dans l’intérêt de tous et dans le partage des connaissances sur les tortues marines.
F. : Ce qui va se décider dans les prochains mois ?
A.B. : Le 17 février, nous avons un chantier d’arrachage des sansevierias en lien avec le RSMA sur la plage de Trois-Ilets. Il y a aussi le choix du type de places à feu qui va être fait au sein d’instances de concertation avec les communes et la communauté de communes. C’est un enjeu important pour les tortues marines puisque quand on vient en pique nique on voit ces espaces posés à même le sol qui présentent une menace pour les nids qui sont potentiellement en dessous tout en sachant quand même que la détermination du sexratio des tortues est thermodépendante à savoir qu’on a des variations autour de 29 degrés qui vont déterminer le sexe du tortillon et si on dispose d’une place à feu avec un barbecue qui monte dans les 200 degrés, le lien de causalité est vite fait. Les usagers développent ces mauvaises pratiques trop souvent. Plutôt que de faire une répression on va concilier en faisant de la pédagogie et surtout en installant des équipements dédiés adéquats. Le choix du modèle de place à feu va faire partie des discussions. Ce qui va être important c’est l’entretien, l’emprise au sol et aussi le côté esthétique et pratique.
Foufougong: Et les poubelles, on va en installer ?
Aurélie Brute : Non, la même stratégie va être gardée pour les déchets. Il n’y aura pas d’installation de poubelles. Cela poserait des problèmes de ramassages et donc pourrait potentiellement attirer des rats et des mangoustes qui une fois sur place peuvent s’attaquer aux nids des tortues. On encourage fortement les visiteurs quand ils viennent sur place à repartir avec leurs déchets.
F: Avez-vous l’impression que les locaux ont conscience de la valeur environnementale de ces sites de ponte ?
A.B: Ces sites font partie du paysage marie-galantais. Ça se rattache à une certaine banalité et on n’a pas forcément conscience de la richesse de tout cela. On a une maison, on la voit tous les jours, on voit les carreaux. À aucun moment on ne s’extasie chaque jour de la beauté de cette maison ou de ce carrelage. Du coup, il y a une absence de prise de conscience de ce que cela représente. C’est aussi pour cela qu’il faut informer, expliquer, remettre des outils d’information à disposition qui seront à jour.
F: Allez-vous assurer des interventions auprès des jeunes générations à Marie-Galante ?
A.B. : Oui c’est prévu aussi parce que la société renaît chaque jour par les jeunes. Qui dit une société éveillée passe par la sensibilisation des plus jeunes afin qu’ils puissent prendre conscience des enjeux et de la biodiversité. Ces interventions seront menées en lien avec l’association Ecolambda dans les milieux scolaires et associatifs.