Je ne sais pas pour vous, mais en entendant les papiers (jargon journalistique pour désigner les compte-rendus diffusés en radio) sur le rapport de la CRC, puis en lisant le rapport de la Chambre Régionale des Comptes sur la situation financière de Grand-Bourg, j’ai surtout voulu comprendre pourquoi exceptionnellement, le rapport de la Chambre a mis en exergue la dette alors qu’habituellement on ne parle que du déficit et j’ai décidé de m’intéresser au rapport entre les deux. En même temps, la réponse est dans le montant de la dette: 10 millions d’euros. Non mais, 65 millions de francs, pour ceux qui auraient encore besoin d’une conversion.
Mais oui, parce que 6 millions d’euros de déficit, je vous avoue, pour moi c’était kif kif, même si c’est grave c’est sûr mais on le pensait déjà à un peu moins de 5millions alors un million de plus, ce n’était pas le grand choc… Mais là, plus de 10 millions d’euros de dettes. Alors là, c’est plus pareil.
« Factures impayées, fonctionnement financé par les lignes de trésorerie, marges de financement réduites »… Tout le chapelet des plaies d’Egypte s’égrenait à la radio.
Alors comment le déficit peut-il être à 6 Millions alors que la dette, elle, est supérieure ? Déficit et Dette sont-ils interconnectés? Peut-on additionner la dette au déficit? Et là, ce serait clairement la Bérézina. Stop aux conjectures, n’étant pas une experte, j’ai préféré m’adresser à Yves Colcombet, le président de la Chambre Régionale des Comptes Himself.
Allô, allô, Yves Colcombet à l’appareil…(qui s’est replongé dans la lecture du rapport de la CRC ici disponible)
« Oui, cet avis est très préoccupant. Je suis très inquiet des formes de dérive. L’élément positif c’est qu’on fait ressortir les choses cachées mais malheureusement le bilan n’est pas beau. On se demande comment on a pu aller aussi loin dans la dilapidation non contrôlée, on se demande qui décide. Il y a bien eu une mesure prise : la disparition de la Caisse des écoles. C’était une sorte de sous-ensemble dans lequel se cachait des choses pas belles mais maintenant tout reste à faire sur le plan de la dépense et de la recette. On gâche de la recette par exemple car il y a des subventions qui ne sont pas reçues. La gestion de la trésorerie est absurde. Il y a des travaux pour lesquels des subventions sont accordées mais il faut envoyer les factures acquittées aux organismes qui accordent les subventions, et quand ce n’est pas le cas, les subventions ne sont pas versées. Et elles peuvent être perdues. Les travaux sont en partie faits mais ne sont pas réglés. On a des lignes de trésorerie qui ne sont pas remboursées à la fin de l’année et qui sont affectées à des dépenses de fonctionnement pour payer les véhicules, du matériel pour le personnel. Et ça, c’est interdit ».
Exemples de subventions annulées, sur 2,2 millions d’euros de subventions pourtant accordées, près d’1,4 million annulé
Foufougong: Comment est-ce possible de voir apparaitre 6 millions en déficit et 10 millions d’euros en dettes? On dirait un double compte…
Yves Colcombet: « C’est exactement cela. Il y a le compte de la banque qui vous dit qu’il vous manque tant d’argent. Et un deuxième compte, comme un compte personnel, où vous savez que vous avez payé monsieur untel ou madame untel. Le déficit c’est qu’on a trop de dépenses par rapport à nos ressources. Mais il y a aussi la dette car quand les ordres de paiement vont chez le comptable, vont s’ajouter les dépenses qui ne peuvent pas encore être payées et les recettes qui ne seront pas perçues. Car il y a aussi des recettes fictives. Dans le cas de Grand-Bourg, on voit plus qu’ailleurs apparaitre une sorte de double compte et quand celui-ci dépasse un certain montant, la Chambre se retrouve obligée d’en parler.
Le déficit budgétaire considère que les dépenses sont payées puisque l’ordre a été donné de payer, or ce n’est pas le cas. Il y a des choses qu’on présente comme payées qui ne le sont pas car il n’y avait pas assez de trésorerie pour procéder effectivement au paiement. Et parallèlement, il y a des recettes considérées comme perçues qui ne le sont pas non plus.
Cela vient d’une pratique qui est de donner l’ordre au trésorier-payeur de payer alors que celui-ci ne peut pas payer. Résultat: dans le déficit, la dépense apparait comme payée, alors qu’elle ne l’est pas. Ce qui est particulièrement choquant c’est le niveau d’endettement réel et occulte par habitant. On est à plus de 2000 euros par habitant ».
Foufougong: Mais alors, le déficit est-il faux, sous-évalué?
Yves Colcombet: « On s’efforce de le rendre le plus sincère possible mais c’est vrai que ce qu’ils avaient affiché (4,5millions d’euros de déficit) n’était pas sincère. Ce qui est malsain c’est que le comptable n’a pas l’argent pour payer les factures établies. Il y a des montants d’erreur, d’approximation ou d’impayés qui sont énormes ».
Foufougong : Et donc le déficit est-il faux? (insistais-je gentiment) Pourquoi la dette n’est-elle pas intégrée dans le déficit? Cela peut-il arriver?
Yves Colcombet: « On devrait logiquement réintégrer dans le déficit ce qui n’a pas été payé, donc la dette. Mais les règles ne sont pas comme ça donc une fois que c’est parti vers le comptable on ne peut plus les réintégrer. Il y a encore quelques années, on ne parlait pas de trésorerie dans nos rapports puisqu’on considère que c’est un endettement qui est passé dans un autre sas. Mais dépendant des cas, on en parle quand cela atteint des sommes telles que celle-ci: plus de 10 millions d’euros ».
Foufougong: À ce niveau de dettes et donc de factures non honorées faute de trésorerie, pourquoi continuer d’envoyer des ordres de paiement quand on sait qu’on n’a pas la trésorerie pour payer? Est-ce une façon d’évacuer des sommes qui devraient figurer en déficit vers une dette dont normalement la Chambre ne parle pas?
Yves Colcombet: Dire ça, ce serait juger l’intention. Je ne peux pas me le permettre. Ce qu’on peut dire c’est qu’il n’y a pas de comptabilité d’engagement. C’est comme si on conduit une voiture en ayant mis un cache sur le compteur. On ne regarde pas combien il reste. Les comptes ne sont pas gérés en trésorerie et même pas en budgétaire. Mais redresser est faisable. C’est pour ça aussi que nous sommes assez sévères, c’est que c’est possible de redresser. Il faut prendre les mesures. Pendant le COVID, L’Etat garantit les recettes donc c’est d’une grande facilité pour redresser.