UPDATE du 19 novembre : Ceci est une version augmentée de l’article déjà écrit le 06 octobre. Nous signalerons les ajouts et les précisions en gras afin de faciliter la compréhension et la chronologie.
EDF Archipel Guadeloupe nous a invité à venir dans ses locaux à Bergevin le 18 novembre dernier. Nous y avons rencontré M. Frédéric Placide, chef adjoint au Système Services Electriques (SSE), qui a dû gérer la « crise électrique » qui a concerné les 7000 clients EDF de Marie-Galante du 04 au 06 octobre derniers.
Frédéric Placide, adjoint au chef du SSE, Système Service Electrique
nous avons pu visiter la salle du Dispatching où se gèrent les incidents comme celui qui a affecté Marie-Galante début octobre.
Tout commence mardi 4 octobre au matin. Suite à un problème suspecté sur le câble sous-marin, l’alimentation électrique de Marie-Galante est basculée sur la centrale locale de la grande Dépendance. Elle se situe à Folle-Anse et dispose de 4 groupes électrogènes (5 groupes électrogènes au total selon EDF mais dont un est en maintenance décennale, une procédure normale. Ils sont essayés une fois par semaine par les équipes sur place) qui sont « en parfait état » précise-t-on à EDF. Toutefois, il y a eu des coupures importantes alors que nous disposons de moyens de production en énergies renouvelables conséquents et qu’on nous parle régulièrement d’autonomie énergétique alors nous allons tenter de comprendre pourquoi ce décalage.
Le récit d’une loi des séries infernale à Marie-Galante
Tout d’abord, la situation de ce début octobre à Marie-Galante a été le fruit d’un enchaînement de défauts, d’incidents, sur le réseau.
Mardi 4 octobre : 10h : premier incident: Sur un poste de répartition de Cayenne, un défaut est constaté sur un domino, une partie du câble qui fait le lien entre la partie souterraine du câble (qui relie la Guadeloupe continentale à Marie-Galante) côté Capesterre-Belle-Eau et la partie sous-marine. L’isolant électrique qui protège un dispositif de tête de câble ne remplit plus son rôle. Cela produit un défaut électrique et le système « saute » pour se mettre en sécurité. Première coupure. Jusqu’à présent, on ne sait pas pourquoi l’isolant a cessé de remplir sa mission. Une expertise est en cours. Quoi qu’il en soit, il faut basculer sur la centrale de Folle-Anse le temps de savoir ce qu’il se passe au niveau du réseau. (Le domino prendra entre 4 à 5h à être réparé).
C’est chose faite vers 11h. Nous basculons alors sur un réseau alimenté par la centrale de Folle-Anse. SAUF QUE…
Les éoliennes fournissaient trop
Mardi, les éoliennes de Morne-Constant à Desruisseaux, entrées en fonctionnement officiel depuis le 15 juillet dernier, se sont retrouvées à produire plus que la centrale de Folle-Anse. Selon Frédéric Placide, elles produisaient 2 mégawatts de trop.
« À tout moment, dans un système électrique, il doit y avoir un équilibre entre la consommation et la production. Si par exemple les Marie-Galantais consomment 4 Megawatts et qu’on en fournit 6, il y a déséquilibre, cela crée un défaut. On avait du mal à réguler la puissance des éoliennes. Elles produisaient beaucoup trop. Là, on va rencontrer les deux producteurs pour leur expliquer ce qu’est un système électrique et qu’on ait un schéma de communication. De plus, les dispatcheurs qui sont ceux qui doivent gérer ces situations de crise sur le réseau ont du mal à joindre les producteurs. Cela a pris entre 35 et 40 mn selon EDF. Ce qui est très long dans ce type d’incidents.
Dans ce cas, cela fait crasher la centrale de Folle-Anse en déconnectant les groupes électrogènes qui se mettent en sécurité et tout le réseau tombe. C’est ce qui s’est passé par deux fois dans la journée de mardi. En clair, les éoliennes ont besoin du réseau électrique général en référence pour produire. Cela fonctionne bien quand nous sommes reliés au câble sous-marin mais en conditions dégradées, cela a posé problème.
La centrale éolienne de Morne-Constant a donc dû être arrêtée.
Nos échanges avec l’exploitant des éoliennes de Desruisseaux (TotalEnergies) ont permis de confirmer ce scénario et il nous a été précisé que ce type d’incident ne devrait plus arriver.
La loi des séries continue avec deux défauts sur le départ de Saint-Louis
Parallèlement au défaut déjà en investigation du côté Capesterre-Belle-Eau, deux gros défauts sur les câbles HTA ont été découverts vers 11h sur le départ de St-Louis. Par conséquent, le réseau est de nouveau tombé. Nouvelles coupures en cascade. C’est pratiquement toute l’île qui a été privée d’électricité.
Vers 12h30, les incidents étaient en cours de résolution pour ce qui est du réseau de Marie-Galante. Et des quartiers ont pu être réalimentés.
« C’est souvent comme ça en cas d’incident, ça s’enchaîne donc on avait un incident sur le domino, et on se prend un double défaut sur le réseau au niveau des câbles souterrains à Saint-Louis. Ce sont les plus compliqués à solutionner. Il faut un matériel spécial pour le détecter et ensuite beaucoup de temps pour le réparer », indique Frédéric Placide.
Et en plus, vu du système électrique, pour nous, 1000 personnes privées d’électricité, c’est la vie normale du réseau. Un incident qui vit sans incident, ça n’arrive jamais.
Une grosse coupure mercredi soir : pourquoi? Puisque les éoliennes ont été débranchées du système et le réseau est censé être réparé
Mercredi soir, Marie-Galante a subi de nouveau une coupure générale dès 18h jusqu’à minuit pour une majorité avec un retour à la normale dès 21h36 pour les plus chanceux. Des poches d’habitation notamment en campagne de Capesterre (Vital, Borée…) ont été privées d’électricité jusqu’à la mi-journée de jeudi. Jusque là, la centrale de Folle-Anse fonctionnait avec des moyens intermittents mais les éoliennes de Petite-Place ont dû être débranchés. Le parc photovoltaïque pour sa part ne produit que la journée. Il semble que la centrale de Folle-Anse (groupes électrogènes) ait été la seule source de fourniture d’énergie stable.
CE QUI SE PASSE PRÉCISéMENT: le télécoupleur ne fonctionne pas : À ce moment là, tous les problèmes sont réglés, il faut rebasculer sur le câble sous-marin sauf que…le télécoupleur qui avait pourtant bien fonctionné lors des précédentes opérations il y a plusieurs mois, ne fonctionne pas. Selon Frédéric Placide, pour cette opération de réalimentation par le câble, il faut une synchronisation entre les paramètres du courant sur le câble et ceux du réseau de Marie-Galante. On doit faire un couplage de réseau,
Normalement, il y a un dispositif qui assure ce couplage et en temps normal c’est automatique. On a essayé de le lancer, ça n’a pas fonctionné ».
Quand Foufougong demande si on a testé le télécoupleur depuis et si on sait pourquoi il n’a pas fonctionné, Frédéric Placide nous explique qu’on doit l’essayer prochainement.
À chaque incident : ce sont plusieurs milliers de personnes qui sont concernées par ces coupures. Certains quartiers comme Borée sont restés 24h privés d’électricité. A Etang Long et Saint-Jean, à Saint-Louis, des foyers (une cinquantaine) sont restés privés d’électricité durant trois jours.
Ici, l’évolution de la situation suite à la coupure de mercredi soir grâce aux témoignages de la population affectée sur la page FACEBOOK de Foufougong.
Des rumeurs : non, il n’y a pas eu de camion qui a touché le câble sous-marin à Folle-Anse ni nulle part ailleurs
Cette rumeur de camion qui aurait touché un câble à Folle-Anse est apparue très vite et même au niveau de la direction régionale d’EDF Guadeloupe, on a cherché à vérifier. Sauf qu’en réalité, il s’agirait d’une scène qui s’est déroulée à Capesterre Belle-Eau. Une société prestataire menait des travaux de fouille à l’extérieur du poste HTA (Haute Tension) Cayenne et à proximité du câble sous-marin. Interpelés vraisemblablement par des employés EDF, les ouvriers ont quitté la zone mais n’ont pas touché le câble. Selon une source, des investigations ont été menées et ont déterminé que le câble n’avait effectivement pas été touché. « Vous vous imaginez bien que si quelqu’un avait touché le câble sous-marin, il ne serait pas en vie », précise-t-on. La rumeur se serait ensuite déformée pour transposer cet incident à Saint-Louis à l’autre bout du câble. Par contre, il y a bien eu un défaut sur des têtes de câbles dans un poste-source à Capesterre-Belle-Eau.
Ce que l’on apprend de cette crise : les moyens intermittents ne fonctionnent pas de concert avec la centrale locale de Folle-Anse
Est-ce une vraie autonomie énergétique dont nous jouissons du moins au sens où nous l’entendions ? On peut clairement se poser la question au regard d’un tel épisode où des moyens de production intermittents (parc éolien de Desruisseaux) ont dû être isolés du réseau par EDF au fur et à mesure. Les moyens intermittents, en plus de dépendre des conditions météo et donc d’avoir une instabilité qui ne se marie pas avec une situation de crise, sont surtout directement injectés sur le réseau. « Il n’y a pas de moyen aujourd’hui de réguler en permanence la limitation « au pas seconde » de cet apport de production afin qu’il colle exactement à la consommation et donc quand on peut les utiliser c’est avec des puissances stables. En période d’instabilité, nous nous appuyons sur des moyens de production pilotables c’est-à-dire thermiques qui eux peuvent s’adapter aux variations de la consommation », indique EDF. Quand nous sommes sur le câble, le réseau général de l’archipel peut encaisser les variations de production des moyens intermittents mais ce n’est plus le cas quand nous sommes en autonomie. La question est de savoir s’il y a une solution à cette situation.