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Marie-Galante en pleine crise sécheresse: pourtant, le déni environnemental nous guette

Marie-Galante en pleine crise sécheresse: pourtant, le déni environnemental nous guette

Sommes-nous climatosceptiques ? En l’occurence, croyons-nous qu’il y a vraiment une sécheresse à Marie-Galante? Les arrêtés d’interdiction qui placent l’île en zone de crise sécheresse s’enchaînent depuis février 2024. Sans interruption, les usages de l’eau sont réglementés (l’arrêté est mensuellement renouvelé par la Préfecture depuis février) . Pas d’arrosage des jardins, de remplissage des piscines, de lavage des voitures, chez soi et chez les professionnels. Pourtant, on sent monter dans la population une petite musique climatosceptique laissant penser que les services de l’Etat se tromperaient, qu’il n’y aurait en réalité pas de sécheresse sur l’île.

Après tout, l’herbe est verte, certaines mares sont pleines. J’ai  même reçu  quelques remarques en commentaires ou en messages privés ces dernières semaines.

« La rivière les Sources est à un niveau normal »

« La sécheresse? La mare de Trianon-Roussel est pleine à ras bord alors ça m’étonnerait »

«Je pense qu’il y a une fuite dans leur réservoir (là où ils font les mesures,ndlr). C’est du jamais vu, renseigne-toi. J’en suis convaincue »

Et c’est normal car il n’y a pas vraiment de signes auxquels se fier.  Les signes sont « contre-intuitifs » précise même la DEAL qui scrute les relevés du BRGM (chargés de mesure le niveau de la nappe phréatique).  C’est à dire que si on observe la surface, on ne verra pas les signes de la sécheresse. Ça se passe parfois 100 m plus bas.

Alors je me suis dit qu’on allait tenter d’expliquer. Car la sécheresse est bel et bien une réalité. Et le respect des mesures dépend aussi du fait de croire en cet état de fait  et non de penser à des erreurs de mesure. Surtout que vu les prévisions communiquées par Météo France, le manque de pluies risque de revenir à l’horizon.

 

Pas assez de pluies entre 2018 et 2022

1/ Tout d’abord, la sécheresse à laquelle on assiste est une sécheresse de nappe. Pas une sécheresse des sols. Quand on regarde en surface, on ne verra pas la vraie situation qui est en cause.

2/ La situation découle peut-être d’un déficit pluviométrique important survenu les années précédentes. Sur ce déficit, un document Météo France est très utile pour comprendre.

 

Voir le graphique en PDF en cliquant juste en-dessous

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Le graphique représente l’écart à la normale 1991-2020 de la pluviométrie annuelle de ces 20 dernières années à la station de l’aérodrome situé à Grand bourg. L’écart à la normale c’est la pluviométrie habituelle alors tout ce qui est en dessous en rouge, c’est le déficit et en bleu l’excédent. Pour en parler, Thierry JIMONET, responsable du centre météorologique de Guadeloupe.

« Il y a eu une période assez sévère de sécheresse pluviométrique qui avait impacté l’ensemble de l’archipel guadeloupéen notamment en 2020 et 2021. L’année 2023 a vu le retour d’un cumul pluviométrique dans la normale et l’année 2024 est actuellement excédentaire avec 105% au 23 octobre. La tendance pour les trois mois à venir est une pluviométrie au-dessus de la normale. Le lourd déficit pluviométrique de 4 années entre 2019 et 2022 a pu avoir des conséquences sur les nappes phréatiques. Mais nous ne disposons pas d’étude spécifique. Celle-ci étant dans le domaine de compétence du BRGM », nous écrit Thierry Jimonet, Responsable du Centre Météorologique de Guadeloupe.

C’est un peu comme si on avait continué de pomper dans la nappe phréatique comme si de rien n’était plusieurs années durant dans la même réserve d’eau sans qu’elle soit remplie par des nouvelles pluies et ce, au moins entre 2018 et 2022. Comme vous le voyez, nous n’avons pas les données de 2015 à 2017. Mais on constate déjà une année déficitaire en 2014.

Sur cette absence de données, Météo France précise :

« Entre 2015 et 2017, les données sont incomplètes pour fournir des statistiques d’écart à la normale. Sans doute des dysfonctionnements de la station de mesure ou du réseau mobile pour la transmission des données. Quand on regarde les valeurs mensuelles disponibles, on peut tout de même conclure sur une année 2015 relativement sèche, une année 2016 dans la normale et une année 2017 au-dessus de la normale »

 

Alors, comment ça fonctionne l’infiltration des eaux dans la nappe?

On va maintenant voir le fonctionnement de l’infiltration de l’eau. Contrairement à la Guadeloupe continentale, Marie-Galante utilise les eaux souterraines pour sa consommation d’eau potable et non les eaux de surface. Et ça, il faut clairement le comprendre pour intégrer le fait que les eaux de pluie ne vont pas forcément directement rentrer dans le cycle de l’eau potable. Nous avions d’ailleurs réalisé une vidéo sur les forages d’eau potable il y a deux ans. Suivez ce lien ici

Sachant que l’eau prend entre quelques semaines et parfois plusieurs années à s’infiltrer dans les sols, parfois jusqu’à 100 mètres de profondeur pour se retrouver dans la nappe phréatique, c’est un processus long. Et de surcroît, les captages se situent dans le centre de l’île et c’est là que l’eau prend le plus de temps à s’infiltrer.

Nous sommes donc confrontés à une IRONIE DU SORT

Eh oui, en 2024, alors qu’il pleut et qu’il n’y a aucun déficit de pluviométrie cette année, c’est justement cette année qu’il y a une sécheresse durable dans la nappe avec des seuils de crise sécheresse atteints et ils restent à ce niveau depuis 8 mois. Ce qui crée un décalage entre ce qu’on constate en surface et la réalité 100 M sous nos pieds. À la clé, des restrictions d’usage mais difficile de faire comprendre qu’il faut se serrer la ceinture alors qu’il pleut et que l’herbe est verte. Pourtant c’est le cas. C’est un peu comme si on avait vécu à crédit pendant plusieurs années et que maintenant il fallait rembourser. Et ça, on va le voir avec Antoine DESSEIX, hydrogéologue, chef de projet au BRGM. Le BRGM (Bureau de Recherches Géologiques et Minières) en charge des relevés qui servent à la DEAL et à la Préfecture afin de donner des indications de restrictions en cas de besoin.

Foufougong: Bonjour Antoine Desseix. Peut-on se fier à ce qu’on voit en surface pour se rendre compte de la sécheresse? Des mares pleines, une rivière à un niveau normal…

Antoine Desseix : Bonjour, eh bien non, c’est trompeur. À Trianon-Roussel par exemple, le niveau d’eau a augmenté. Cela veut juste dire que la mare retient bien l’eau. Et surtout, cette année, il pleut. (Ajout Foufougong: et on l’ a vu, la situation de sécheresse de la nappe est liée potentiellement au manque de pluies les années précédentes pas à la situation de cette année, ndlr). Les mares construites ont cette utilité: de retenir l’eau en surface sans être forcément connectées à la nappe phréatique. Toutes les mares ne sont pas d’origine naturelle. Il existe des mares creusées par la main des habitants pour divers usages. Malgré les niveaux d’eau qui augmentent au sein des mares artificielles, cela n’est pas forcément révélateur d’une bonne infiltration vers la nappe d’eau souterraine. D’où la nécessité de réaliser des mesures au sein des piézomètres qui sont des ouvrages permettant de rendre compte de mesures relatives à l’eau souterraine. Quant à la rivière, elle va bien en période de carême car le ruissellement va augmenter donc cela signifie que  l’eau de surface va pouvoir avoir un débit plus important. Là encore ça ne donne pas d’indices sur l’état de la nappe. C’est même contre-intuitif.

Foufougong : justement, comment vous veillez sur les niveaux ?

Avec ce qu’on appelle des piézomètres. Il y en a 8 et ils permettent de mesurer de façon très précise les niveaux. Il y a des sondes qui enregistrent automatiquement les niveaux. Les mesures sont prises toutes les heures de façon automatique. On doit venir physiquement minimum 2 fois par an mais au vu de la Faible couverture réseau, en Carême on vient plus souvent. En ce moment, on vient une fois par mois. Sinon on vient tous les trimestres. Je comprends la méfiance des gens par rapport à nos mesures. Le nerf de la guerre c’est la donnée. Nous avons des historiques qui remontent à plus de 15 ans. On s’assure qu’il n’y a pas de dérive instrumentale en cas de panne par exemple. En cas de faiblesse d’une sonde, on mesure le niveau d’eau manuellement. Nous ne pouvons pas faire d’annonces de niveaux d’eau à la DEAL (Direction de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement) sans vérification poussée. Il y a trop de choses qui en dépendent. On est au millimètre près pour les seuils. Les conséquences sont importantes.

 

 

 FFG : Comment est organisée la nappe phréatique de Marie-Galante?

A. Desseix : À Marie-Galante, il y a une nappe contenue dans plusieurs compartiments organisés autour de la faille de Morne Piton. On peut dire qu’Il y a 3 à 4 compartiments différents qui forment la nappe. Les compartiments se rechargent différemment. Fond-du-Riz par exemple, il faut plusieurs années pour que L’eau arrive jusqu’à la nappe. C’est lent. Ça dépend de la nature des sols, de la profondeur de la nappe. Au centre de l’île, il y a tous les captages et c’est au centre que cela prend le plus de temps pour pénétrer dans la nappe.

FFG : Cela signifie que ce n’est pas parce qu’il pleut et d’ailleurs beaucoup en ce moment que la nappe est rechargée dans l’immédiat… 

Non, Ce sont des cycles longs. On l’a vu. Et puis surtout, le sol doit déjà laisser l’eau s’infiltrer et ça ce n’est pas automatique. En carême par exemple, en cas de pluie, c’est la couverture végétale en priorité qui va capter la grande majorité de L’eau de pluie. Et en cas de fortes pluies, une grande quantité de L’eau peut même s’évaporer ou s’écouler sans pénétrer dans les nappes souterraines. En carême, les pluies qui tombent iront essentiellement alimenter le couvert végétal. Une fois la végétation alimentée, c’est au tour du sol de regagner son humidité. Et enfin seulement lorsque les deux compartiments végétation et sol sont « rassasiés », l’eau de pluie peut alors s’infiltrer et rejoindre la nappe : c’est ce qu’on nomme la pluie efficace. Et cette portion de pluie est minoritaire. En période de sécheresse prolongée, les sols deviennent durs et ont tendance à laisser le ruissellement de l’eau être dominant par rapport à l’infiltration. Donc voilà pourquoi même quand il pleut, ça ne veut pas forcément dire que l’eau va alimenter automatiquement la nappe dans les mêmes proportions.

 

Pour accéder au document complet sur la nappe phréatique à Marie-Galante, c’est par ici Journée-sensibilisation-Eau-Biodiversité

Les prévisions de pluviométrie pour les années à venir prévoient encore …plus de périodes de sécheresse

On retourne voir Thierry Jimonet, le responsable du centre météo

« À noter que les projections climatiques de Météo-France sur la période 2031-2080 indiquent une diminution des précipitations annuelles de l’ordre de 15% sur l’ensemble de l’archipel avec des périodes de sécheresse devenant plus fréquentes et des vagues de chaleur plus longues et plus fréquentes également » nous dit Thierry Jimonet.

via GIPHY

Vraiment failli mettre le GIF de Brad Pitt en présentateur météo pessimiste mais j’aimerais bien que Thierry Jimonet continue de me parler… oh hey puis…

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Pas pu m’en empêcher. Bien sûr que c’est de l’humour, mais on a tous compris que si les épisodes de sécheresse se rallongent dans les années à venir et que certaines zones de la nappe ne se remplissent pas avec les pluies quoique fréquentes et fortes ces derniers temps et qu’en plus, il y a des risques accrus de salinisation, tout cela n’est pas la recette vers un avenir sans nuage. Enfin façon de parler.

Conclusion: On ferait mieux de croire à la sécheresse  de la nappe car il va falloir se préparer à encore moins gaspiller, à bien utiliser  la ressource et peut-être même à diversifier nos sources d’apport en eau pour la consommation quotidienne.

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