C’est avec sa guitare basse encore en bandoulière qu’il nous accueille chez lui lundi (7 décembre) matin. La partition fume encore. C’est désormais Pedro – son nom de savane et de musicien- le bassiste enflammé, qui remplace le conservateur discret. À 67 ans, l’attaché de conservation du patrimoine, chargé de la gestion des collections, a fait valoir ses droits à la retraite.
Qui pour le remplacer ? Comment sa vie s’est retrouvée liée à celle du patrimoine marie-galantais ? Interview d’un témoin direct des débuts de la sauvegarde du patrimoine à Marie-Galante.
En 42 ans à l’écomusée de Marie-Galante (dont le QG est à Murat), son île natale et de résidence, il a vu passer plusieurs milliers de personnes à qui il a distillé ses connaissances : des locaux curieux, des touristes en goguette, des enfants, des collégiens, des lycéens,… sans compter les interviews média. À chaque fois que des journalistes ou des documentaristes prévoient de faire un reportage ou une production sur le patrimoine, Pierre Cafournet arrive en tête d’affiche des personnes ressources.
Il a été interviewé par tous les médias locaux mais aussi par de prestigieux quotidiens nationaux comme Le Monde en 2006. L’attaché de conservation de l’écomusée de Marie-Galante est alors incontournable. Et chaque conservateur qui est passé à Murat l’a aisément laissé assumer son rôle de premier communicant de la mémoire et du patrimoine Marie-Galantais. Pourtant c’est un départ discret, qui s’est opéré le 31 octobre dernier.
Foufougong a appris le départ à la retraite de Pierre Cafournet en l’appelant pour savoir pourquoi de nombreuses maisons de Capesterre avaient un symbole de Soleil Levant sur leur fronton. On avait bien une théorie en lien avec la commune du Soleil Levant mais on voulait du solide quand même.
M. Cafournet conseille alors la lecture de Historic Architecture of the Caribbean de David Buisseret (ouvrage qui a l’air un peu difficile à trouver, je dois avouer) et de l’ouvrage de Jean-Pierre Sainton, Jack Berthelot, Martine Gaumé, Juliette Sainton et Robert Fontès, L’habitat populaire aux Antilles. De quoi agrémenter la réflexion et mettre en perspective. M. Cafournet est comme ça : il conseille, il donne son savoir, il aide. Nous l’avions déjà contacté pour en savoir plus sur l’électrification de l’île (Et la lumière fût…). Nous avions d’ailleurs découvert grâce à lui l’emplacement du dernier réverbère à pétrole encore debout dans Grand-Bourg qui servait à éclairer la Ville jusque dans les années 1960.
Qui pour vous remplacer ?
Foufougong: « Mais qui va vous remplacer? » (sous-entendu, qui est-ce qu’on va appeler maintenant pour poser des questions saugrenues ? )
Ses deux paumes de mains rassemblées en coussin derrière son crâne décrivent le niveau de détente du frais retraité.
« Pedro » Cafournet: « Je ne sais pas »
Foufougong : Ah bon ?
« Pedro » Cafournet : « Mwen pa sav’. J’ai prévenu dès 2015 à l’arrivée de l’actuel conservateur, M. Godefroy, que je devrais partir soit en 2018 soit en 2020. Et ce dernier a fait remonter l’information. Mais ils n’ont rien dit ».
Qu’allez-vous faire maintenant ?
P. Cafournet : Je continue d’être sollicité. Je serai justement le 21 décembre à Murat. Le Cismag m’a proposé d’animer un atelier avec des enfants.
F : Encore à Murat ? (Rires)
P. Cafournet : Ben oui, j’y ai passé 42 ans de ma vie et quand ils m’ont dit que c’était à Murat, je me suis dit ben dis donc j’en sors pas (sourire) mais c’est avec plaisir que j’irai. Vraiment.
F : Heureusement que vous ne vous êtes faché avec personne en partant. Pas de « Au revoir, au revoir président », si c’est pour se retrouver un mois après là-bas…(Rires)
P. Cafournet : Oui en effet, mais c’est pas mon style non plus. Je suis en bons termes avec eux.
« Je suis vice-président de l’Association de Sauvegarde et de Valorisation du Patrimoine (ASVP). Le président est M. Joseph Cornano. Nous travaillons sur la valorisation des moulins de Marie-Galante. Il y a 72 tours de moulins à Marie-Galante encore debout. Tous sont à vent et un seul à bête, celui de Murat. Le conseil départemental a la propriété d’environ la moitié de ces moulins et l’autre moitié ce sont des privés. Exception faite du moulin de Bézard qui appartient à la commune de Capesterre. Le moulin de Pichery par exemple, il s’est affaissé durant le tremblement de terre de 2004, il ne reste qu’un amas de gravats, les gens ont volé les pierres ».
On comprend qu’un ouvrage sur ce sujet devrait l’intéresser. Lui dont le nom figure déjà en tant que contributeur de quelques ouvrages de référence sur Marie-Galante.
Un puits de références
Puis, sur une pensée qui s’invite dans la conversation, commence un voyage dans des souvenirs d’enfance. M. Cafournet raconte une ville de Grand-Bourg qui avant la création du port de Folle-Anse au début des années 1960 était un port de passagers mais aussi un port sucrier et de marchandises.
« Je me souviens de M. Pambo, un docker de l’époque qui nous faisait peur et de tous les bateaux qu’il y avait là dont le Suivez moi les Marins et tous les autres qui transportaient les marchandises. D’ailleurs à ce propos, il y a un livre d’Evelyne Saint-Martin Lima qui retrace cette histoire du port. Elle avait d’ailleurs créé un écomusée de la mer fut un temps. Ça a duré un certain nombre d’années. Mais vous pouvez consulter ce petit livret « Marie-Galante, histoire et mémoire », publié chez l’Harmattan. Il est très intéressant. J’y ai découvert moi-même des choses sur la vie à l’époque« .
Au fil de la conversation, nous parlons ensuite du sucre qui était raffiné ici à Marie-Galante fut un temps et de la bataille commerciale engagée avec les sucriers de la métropole qui ont tout fait pour que le sucre parte d’ici non raffiné. Ce qui est encore le cas de nos jours. Et comme ça de tête, il m’indique ce livre: L’Historial Antillais. Un travail de recherches conséquent d’un collectif dirigé par Jean-Luc Bonniol et qui regroupe Roland Suvélor, Jacques Adélaïde-Merlande et d’autres. Bonniol est un anthropologue et historien, spécialiste des sociétés insulaires, en poste à l’université des Antilles-Guyane jusqu’en 1982. Cet ouvrage date des années 1980 et un exemplaire sur internet se dispute entre 147 et 200 euros.
« Dans le volume 4, ils en parlent de la guerre des sucres. Bon il faut pouvoir suivre. C’est écrit par des Universitaires », prévient M. Cafournet.
Un grand témoin des prémices de la sauvegarde du patrimoine
C’est alors qu’il n’a qu’une vingtaine d’années que M. Cafournet s’intéresse au patrimoine de son île natale. Sans doute sous l’influence de son enseignant, Camille Rousseau, qui n’a de cesse de plonger ses élèves au coeur même de l’espace-temps marie-galantais. Parmi les personnalités qui l’ont influencé, on retrouve également Michel Joséphine, lui aussi important contributeur à la mémoire de l’île, aujourd’hui âgé de 95 ans.
« Et dire qu’il est rentré à l’usine en tant que manoeuvre et qu’il en est sorti cadre. J’ai eu la chance de compulser ses manuscrits jamais publiés », décrit-il d’un geste qui en traduit le caractère exceptionnel. »
« Vous savez que l’écomusée créé en 1978 est le fruit d’un grand inventaire qui a eu lieu entre 1975 et 1980. On a commencé à parler de patrimoine à cette époque-là. À l’époque, l’habitation Murat avait déjà commencé à être reconstruite mais ce n’était en rien comparable à ce qu’elle est maintenant. Trianon-Roussel ce n’était pas ce que c’est aujourd’hui non plus. Le site était en ruines et en friches. Ce projet s’est fait sous la houlette de l’ONF, la société d’histoire de la Guadeloupe, le centre universitaire Antilles Guyane et le centre de recherches Caraïbes de l’université de Montréal qui avait installé une antenne ici à cette époque.
Après la réforme foncière, c’est le deuxième plus gros projet sur le plan du patrimoine qui a eu lieu. Le patrimoine était à la dérive. Et ça a donné l’écomusée de Marie-Galante en 1979
Pierre Cafournet
Des trésors « cachés »?
L’inventaire a permis de rassembler 5000 photos. Ca a donné des expositions sur le manioc, au centre des arts à Pointe à Pitre, sur les plantes médicinales (1978) les jeux et jouets d’enfants de Marie-Galante (1979). Vous avez des gens comme Michel Grandguillote, Jean Girard, Jean Pierrard (architecte), Georges Hulman, Christian Boulardin, Philippe Bavarday qui a d’ailleurs été l’un des photographes de l’inventaire. De cet inventaire, il en est sorti des thèses : « L’archipel inachevé », ouvrage de référence dans le domaine de l’anthropologie des Antilles que l’on doit à Jean Benoist. Serge Larose a écrit un rapport de recherches sur les pêcheurs de Marie-Galante (1960-1970). André Laplanque qui a dirigé l’inventaire en a tiré un mémoire sur les « convois marie-galantais », les fameux coups de main.
Puis, nous discutons d’ouvrages de références hérités de Christian Schnakenbourg, Histoire de l’industrie sucrière en Guadeloupe aux XIXe et XXe siècles, ou bien encore du livre de Michel Caudry, Marie-Galante à la croisée des chemins, qui donnent des clés utiles pour ne pas dire indispensables à la compréhension de l’île.
Voilà maintenant deux heures que nous discutons. M. Cafournet montre ses lectures actuelles entre Obama et d’autres pièces bibliographiques aussi bien locales qu’internationales, mais il est temps pour Foufougong de reprendre son envol.
« Je ne sais vraiment pas comment je vais écrire cette interview M. Cafournet. On a parlé de tellement de choses. Mais bon, je vous tiens au courant», lui dis-je pour le taquiner.
Il sourit.
Nous devons nous rendre ensemble à l’une des indigoteries de Capesterre ainsi qu’à l’usine de Dorot.
Et voilà ce monsieur qui part à la retraite avec tout son savoir. Il en ressort surtout l’idée que d’importantes recherches ont déjà été menées ayant pour thème exclusif Marie-Galante mais que ce savoir n’est pas forcément connu ni disponible pour la population. Un trésor invisible pour beaucoup mais bien réel.