On connaissait la République bananière, désormais certains pourront s’amuser de l’appellation de « République cannière » à certains égards. Mercredi soir fut l’apothéose des trois soirées d’élection communale agitées à la Sicama. Les planteurs qui ont fait le déplacement à l’Etable du Verger à l’Etang Bambou ont pu assister à ce que certains appellent un «simulacre d’élection ». Des candidats perçus comme ayant des chances sérieuses ont été interdits de se présenter. Candidatures tardives, candidats carrément blacklistés en tant que « clients douteux » ayant des dettes. Même le Président de la SA SRMG, Marthyr Nagau, qui semblait avoir une chance de détrôner Ferdy Créantor , le président sortant de la Sica, en a fait les frais. Ferdy Créantor avance qu’il s’agit de dispositions normales, d’autres y lisent une élimination méthodique de concurrents opposés à sa Présidence. REPORTAGE.
Afin de comprendre la situation, il faut d’abord expliquer ce qui se jouait depuis lundi 23 mai à Marie-Galante. Il y a neuf sièges d’administrateurs au sein de la Sicama. Tous les deux ans, des élections par commune sont organisées afin de renouveler trois administrateurs en tout (un par commune) soit le tiers du conseil. Cette année, c’était notamment au tour de Ferdy Créantor de remettre son fauteuil d’administrateur en jeu. Le Président sortant est très contesté depuis l’an dernier avec le dossier du transfert des cannes vers la Guadeloupe continentale. Une décision prise sans concertation préalable. Au terme de l’élection de mercredi soir, sur plus de 600 sociétaires Saint-Louisiens, 51 présents, 31 votants, 24 bulletins en sa faveur et 7 bulletins nuls. Ferdy Créantor était le seul candidat alors qu’un duel était annoncé. Comment en est-on arrivés là?
Le statut 24 sur les conditions de présentation de candidature a été l’argument principal: « Pour être membre du Conseil d’Administration, les sociétaires ne doivent : « pas faire l’objet d’une condamnation judiciaire, pas être inscrits au fichier des clients douteux ou litigieux, pas être inscrits au fichier d’interdiction bancaire… » Les statuts de la Sicama sont consultables ici
L’article 24: Plusieurs concurrents sérieux blacklistés, un statut à la tête du client?
À Saint-Louis, la candidature de Marthyr Nagau, président de la SA SRMG, la Sucrerie-Rhumerie, était censée être l’arme fatale contre Ferdy Créantor. Seulement voilà, dans ce scénario, l’article 24 des statuts de la Sicama est apparu comme une grosse gomme qui a effacé Marthyr Nagau du tableau. « Plus de trois ans de créances, n’ayant pris aucune condition pour régulariser sa situation. Des dettes depuis 2005 », lors de l’assemblée, ces éléments sont mis sur la table devant l’assemblée communale et tous les sociétaires des autres communes qui ont fait le déplacement. Ces éléments justifient selon la Sicama le classement de M. Nagau parmi les clients « douteux et litigieux » qui l’empêcherait de concourir. Mis au courant de cette décision quelques heures seulement avant l’élection, une motion avait même été préparée par les soutiens de M. Nagau afin de demander le maintien de sa candidature. Une démarche balayée par le Président de la Sicama ce qui a provoqué la colère des participants. Extrait Vidéo
« Sé Laurent Gbagbo, Sé Poutine ! « Nou en diktature », propos entendus lors de l’assemblée de mercredi à Saint-Louis
Mercredi soir, Marthyr Nagau s’est défendu et a demandé le document du Conseil d’Administration qui le classerait en « client douteux et litigieux ». Document qui n’a été fourni, à notre connaissance, à aucun candidat mécontent. Aucune précision sur la date à laquelle ce conseil d ‘administration se serait tenu n’a été communiquée. Sur la foi de quels documents le CA se serait-il penché et documenté pour rendre des décisions aussi lourdes ? L’actuel Président, partie prenante, a-t-il participé à ces prises de décisions?
En attendant, Selon le président de la SA SRMG, il n’est pas le seul à avoir des dettes envers la Sicama et expose même le cas de l’actuel Président
Ferdy Créantor explique ne pas décemment pouvoir demander et exiger de planteurs de devoir s’acquitter de leurs dettes tout en acceptant des candidatures de personnes débitrices de la Sicama. D’un autre côté, le Président avance qu’un contrôle pourrait s’exercer si les statuts ne sont pas respectés. Thierry Orfèvres, le directeur de la Sicama, confie également que près de 300 000 euros sont dus par des planteurs. La problématique est donc réelle mais en l’occurence, la question est de savoir si elle n’est pas instrumentalisée. Alors nous avons demandé à Ferdy Créantor pourquoi Marthyr Nagau a été ainsi écarté et s’il ne craignait pas de se voir reprocher d’éliminer ses concurrents sérieux.
À Grand-Bourg, trois candidats recalés dont Dominique Pyrée
Tout a commencé à Grand-Bourg, lundi 23 mai, au restaurant Kaz a Sik, juste à côté de la Sicama. L’assemblée communale de Grand-Bourg n’a réussi à rassembler que 25 présents ou représentés sur les 828 sociétaires. Trois candidats ont émergé de cette foule clairsemée. Mais coup de théâtre, raconte un participant, « les trois candidatures ont été invalidées sans même que les candidats aient reçu l’information au préalable ». Parmi eux, Dominique Pyrée, qui s’était distinguée lors de la lutte contre le transfert des cannes. Selon Ferdy Créantor, deux candidatures sont arrivées hors délai et la troisième relevait des « planteurs douteux » ayant des dettes envers la Sicama. « Je suis très déçue de ce qui s’est passé lundi soir. Si quelqu’un n’est pas retenu pour être candidat, on le prévient au préalable qu’on ne retient pas sa candidature pour une raison ou une autre. Mais ça s’est fait au sein de l’Assemblée avec tout le monde. On ne peut pas se permettre pour des raisons confidentielles d’aborder ce type de sujet en public », fait observer Dominique Pyrée. À Grand-Bourg, le siège n’a pas été renouvelé mais que nenni, l’élection du Président se fera car les statuts le permettent, précise la Sicama.
À Capesterre, gendarmes et boycott du vote
Mardi 24 mai, à la Table d’Hôte Les Sentiers de la canne à Tacy, la scène a été épique. Les gendarmes ont même été appelés mardi soir à la suite d’une « tentative d’arrachage de micro », explique Ferdy Créantor qui nie toutefois être l’auteur de l’appel aux forces de l’ordre. Sur 760 sociétaires, 53 présents, 17 votants. Un administrateur est finalement élu mais dans une ambiance à couteaux tirés. La propriétaire du site qui accueille l’élection témoigne. C’est bien la première fois qu’elle assistait à ce type de scène. Hortensia Rousseau, interrogée mercredi, en garde un souvenir mêlé de surprise, de déception et d’incompréhension. On l’écoute
Pour mieux comprendre, il faut interviewer Jean-Luc Bordin. C’était lui le candidat favori qui devait logiquement être élu en tant qu’administrateur. Il revient sur cette soirée au cours que laquelle il a refusé de voter et de participer à « cette pitrerie ». »Ma candidature étant validée j’aurais pu participer. Lors de la présentation des candidats, j’ai exprimé mon désaccord et j’ai refusé d’y participer afin de dénoncer et je n’ai pas voulu soutenir ce vice. J’ai l’impression qu’on instrumentalise des statuts pour disqualifier certaines personnes et dans le même temps, on n’a pas d’éléments sur les dossiers des candidats qui sont retenus pour participer à l’élection. On a demandé le procès verbal du conseil en question qui aurait décidé de retenir ou pas les candidatures, on ne l’a pas ». Résultat : Jean-Luc Bordin a refusé de participer au vote et la grande majorité de ses soutiens également. Une partie a même voté en sa faveur n’écoutant pas son appel au boycott. D’aucuns font remarquer qu’étrangement, si les conditions semblent strictes pour certains, aucun document n’est demandé à d ‘autres autorisés à se présenter. Ce qui fait penser à certains que ce choix de candidat se ferait à la tête du client.
Les rangs clairsemés de ces assemblées: un souci évident de légitimité
Le plus frappant reste tout de même le manque de mobilisation des sociétaires de la Sicama et les chiffres interpellent alors que la Sica est l’organisme qui décide de la politique d’avenir de la filière, qui prend les décisions importantes comme le transfert des cannes l’an dernier. Quand on additionne le nombre de sociétaires Sicama par commune, on arrive à plus de 2000 personnes au total. Selon une source, le fichier ne serait pas remis à jour (personnes décédées, qui ont arrêté l’activité, champ en déshérance, autres situations…) et le nettoyage du fichier serait difficile en terme de parts, de capital. Toutefois, force est de constater que sur les trois ou plutôt deux dernières élections, entre Capesterre et Saint-Louis, seulement 48 personnes se sont exprimées. Une goutte d’eau qui tranche avec les enjeux au vu des pouvoirs de la Sicama. Sans doute faudrait-il revoir le mode de désignation de la présidence de ce genre de société d’intérêt collectif mais dont le mode de désignation n’a décidément rien de collectif. Des recours sont possibles. Reste à savoir si les candidats qui s’estiment lésés utiliseront ce biais.